Aujourd'hui, Oedipe est de retour avec cette fois une réécriture de la pièce de Sophocle sous forme de roman policier : Oedipe roi de Didier Lamaison.
Présentation de l'éditeur : En arrivant dans une cité harcelée par les vieux démons de la peur et de la division, Œdipe a ouvert les portes et les cœurs. Il a naturellement été fait roi. Personne ne sait d'où il vient. Le sait-il lui-même ? Une enquête haletante va révéler une vérité si effrayante qu'Œdipe roi de Sophocle est devenu, au fil des siècles, la mère de toutes les tragédies, celle qui porte en elle tous les modèles du roman noir.
L'idée d'une réécriture d'Oedipe sous forme de roman policier ne pouvait que susciter ma curiosité, car l'Oedipe roi est souvent comparé à un policier à cause de l'enquête menée par Oedipe, d'autant que tout part d'une intrigue policière : qui a tué Laïos ? C'est à partir de là que tout va s'enchaîner, que les suspects et les témoins vont se succéder et les théories s'échafauder.
Lamaison choisit de commencer son roman par l'épisode du Sphinx : la mystérieuse victoire d'un étranger silencieux arrivé à Thèbes. Puis il y a une ellipse et l'histoire reprend avec la peste qui s'est répandue dans Thèbes. Oedipe est pragmatique, il voit dans l'inquiétude du peuple un phénomène explicable par sa crédulité et il se méfie de Créon et des prêtres, car leurs intentions ne semblent pas forcément pures, en particulier par leur silence sur la faute qui a été châtiée par la présence du Sphinx.
C'est en fait difficile de parler de ce livre, car tout est une question d'ambiance. Le style choisi est approprié, on sent que Lamaison connaît bien l'oeuvre et n'essaie pas de vendre une réécriture commerciale où, parce que l'on a conservé les noms et le schéma narratif originale, on croit avoir fait tout le travail. C'est réellement une interprétation de la pièce Sophocle - de toutes manières, il est nécessaire de prendre un parti quand on réécrit cette oeuvre, car justement la position que l'on adopte par rapport à Tirésias mais surtout par rapport à Créon change la manière de lire la pièce. Ici, l'auteur a opté pour une ambiance de suspicion qui s'insinue peu à peu et qui s'infiltre dans les rues de Thèbes. Il ne se contente pas de suivre Oedipe, il envisage aussi les conséquences que les décisions d'Oedipe vont avoir au niveau de la gestion de l'Etat mais aussi au niveau du peuple, car c'est une tragédie, le malheur n'est pas individuel mais public.
Les éléments qu'il choisit de creuser ou de mettre en lumière sont vraiment pertinents et permettent d'offrir une autre vision de l'histoire. Les réponses qu'il donne sont aussi dans la logique de l'oeuvre : pourquoi on ne s'aperçoit que maintenant qu'Oedipe a tué quelqu'un à un carrefour ? parce qu'Oedipe parle peu et que chacun a des secrets à cacher.
Concernant à propre parler le style, le niveau de langue est courant, voire soutenu. Les épithètes homériques ont disparu car ils alourdissent énormément en français mais pour certains, on les retrouve dans les détails. La première description de Thèbes est brillante pour cela, car l'auteur ne va pas dire que c'est Thèbes aux sept portes, mais les portes ayant un rôle essentiel car ce sont celles devant lesquels les sept chefs vont s'avancer dans les Sept contre Thèbes ou celle qui s'ouvre pour révéler le cadavre de Jocaste et la mutilation d'Oedipe, il va aborder la ville par ses portes et le rôle qu'elles jouent dans la propagation du malheur.
C'est un texte tout simplement brillant et qui apporte réellement quelque chose au mythe. Dans la nouvelle édition, il est accompagné du texte de l'Oedipe Roi, traduit, présenté et annoté par Lamaison, et d'un glossaire français-grec. Je n'ai lu que quelques pages de cette traduction, je n'ai pas réussi à aller plus loin car c'est une traduction qui est très bien pour un public de non-helléniste et je reconnais que Lamaison a eu raison de faire de tels choix(il explique dans le livre ce qui a motivé ses choix en matière de traduction), c'est élégant et en même temps, ça reste naturel. Cependant, moi, je ne peux absolument pas lire cette traduction, parce que ce n'est pas assez fidèle, je n'arrive pas à retrouver le texte grec et comme toutes les trois lignes, j'ai une tendance à vouloir savoir quelle était l'expression grecque employée, c'est fâcheux. Pour un helléniste, c'est une traduction intéressante pour comparer sur un point de traduction mais pour une lecture, il vaut mieux s'en tenir à la version de Mazon, même si elle a des faiblesses, mais c'est un peu ce qui fait le charme aussi des traductions de Mazon(c'est irrévérencieux mais pour moi, les traductions de Paul Mazon, c'est un peu comme une vieille paire de pantoufles, on sait qu'on devrait les jeter parce qu'il y a des trous mais on s'y est attaché à la longue, elles ont pris une valeur affective).
L'Oedipe Roi est une réécriture à avoir, car les ouvrages de cette qualité ne sont pas si fréquents que ça pour les romans situés dans l'antiquité, et surtout, il est rare de trouver un auteur qui allie connaissance de l'antiquité et style.