
Ce livre au départ m'avait intrigué par son titre, qui est un vers tiré du Mort Joyeux de Baudelaire. Finalement je trouve que ce titre est une erreur, non pas parce qu'il n'illustre pas le livre, au contraire, mais simplement parce que le titre original n'est pas le vers de Baudelaire. Je pense que le traducteur a outrepassé ses droits dans cette affaire, car je suis contente pour lui qu'il connaisse Baudelaire et qu'il ait fait une telle trouvaille, sauf qu'il introduit une référence qui n'est pas voulue par l'auteur et on ne fait pas référence à Baudelaire d'une façon gratuite, si cette référence était de l'auteur, la signification même du livre aurait été altérée parce qu'il aurait fallu comprendre la volonté de l'auteur. Je trouve que ce n'est pas la place du traducteur d'introduire des références là où il n'y en avait pas, il n'y a que dans les livres tels que les annales du disque-monde que ça s'y prête, car dans ce cas, les références sont là pour faire rire, non dans un but littéraire.
Après cette légère digression, passons à l'histoire.
Eric Sanderson se réveille chez lui totalement amnésique et il ne trouve rien qui puisse le renseigner sur lui-même si ne n'est un mot qui lui demande de contacter le docteur Randle et que celle-ci sera en mesure de répondre à ses questions. Le mot est signé : le premier Eric Sanderson.
Selon le docteur Randle il souffre d'une perte de mémoire causée par un état dissociatif qui a été provoqué par la mort de sa petite amie, Clio Ames.
Il reçoit ensuite une lettre mystérieuse du premier Eric lui disant que le docteur Randle ne peut rien pour lui et que qu'il va devoir suivre les conseils lettres des prochaines lettres qu'il recevra s'il veut échapper au danger qui plane sur lui et qui a été causé par une erreur du premier Eric.
Notre héros va donc devoir choisir entre écouter le Dr Randle ou suivre son ancien moi en quête de réponse quant à son état...
C'est une histoire très étrange, ne vous attendez pas à un roman facile à lire racontant le parcours normal d'un type qui veut retrouver son passé. Steven Hall nous emmène dans un univers étrange, où il existe des poissons conceptuels, êtres qui naviguent dans les eaux engendrée par les connexions que nous établissons par le langage. et dont certains se norrissent de nos souvenirs. On se laisse facilement prendre dans cet univers qui est très effrayant, car c'est un peu comme les dents de la mer mais avec un requin qui peut vous attaquer aussi bien sur terre que sur mer. L'écriture est inéressante, me faisant un peu penser à Mallarmé par sa manière d'utiliser la page blanche. La seule chose qui m'a gêné ont été les ruptures lexicales, car j'ai trouvé un brin décalé l'utilisation du verbe "baiser" dans un texte où l'ennemi est un poisson conceptuel. J'ai trouvé ça un peu trop vulgaire par rapport aux expressions qui appartiennent aux discours du narrateur.
Les différents personnages sont intéressants, ma préférence allant à Yann, le chat, qui est un peu la touche de normalité de l'histoire du haut de toute sa hauteur féline.
A ce point de l'article, nous allons dire au revoir à ceux qui n'ont pas lu le livre et ne veulent pas qu'on leur en révèle trop sur la tournure que prend l'histoire et sur sa fin.
La fin m'a pas mal intriguée, faut-il comprendre que toute l'histoire n'est qu'un délire du personnage ou qu'après son combat, la scène de la carte postale est l'équivalent de ce moment à la mode actuellement dans les séries américaines où le personnage choisit entre mourrir ou s'accrocher à la vie et donc qu'Eric choisit de ne pas revenir parmi les vivants, retrouvan ainsi Cléo/Scout dans la petite île de Naxos qui est leur équivalent de l'île des Bienheureux ? ou alors qu'il reste prisonnier du monde conceptuel ? ou que ce n'est pas son cadavre que l'on retrouve ? Une question lié à cela est comment peut-il raconter l'histoire ? Je pencherai pour le fait qu'il est à la mode d'écrire à la première personne l'histoie sans passer par une justification fictive comme dans la chronique des vampires d'Anne Rice ou par un récit fait à quelqu'un comme dans Le Lys dans la vallée. C'est un procédé que l'on retrouve aussi dans the Jane Austen bookclub et dans the Gun seller d'Hugh Laurie, c'est pour ça que je parle de mode, bien qu'on puisse aussi parler d'une évolution dans les codes régissant les récits à la première personne.
Je penche pour le fait qu'il est fou et que toute l'histoire est le récit de son délire. Le fait qu'il soit fou expliquerait pourquoi le dr Kendle dit à Eric qu'il ne doit pas lire les lettres écrites par son précédent moi et surtout comment on est passé du premier Eric au 11ème, car au début de l'histoire on nous apprend que notre Eric en est à sa onzième récurrence, or ensuite, il n'y a jamais d'explication relative aux dix précédentes récurrences et donc la raison pour laquelle c'est cet Eric précisemment qui reçoit les lettres. Je verrai bien ce détail inexpliqué comme un signe que nous donne l'auteur sur le fait que le personnage n'est pas sain d'esprit et qu'il ne faut pas prendre pour argent comptant ce qu'il nous raconte. Plus j'y pense, plus j'ai l'impression qu'il y a des signes indiquant qu'on se trouve au sein d'un délire, comme le fragment d'une ampoule, pourquoi le premier Sanderson a-t-il eu besoin de le coder puis de chercher à le décoder comme s'il n'en était pas l'auteur ? et les titres sont eux-mêmes étranges. Par ses lettres, il pourrait très bien entraîné sont autre moi dans sa folie, d'autant qu'il se crot poursuivi par des poissons conceptuels, or les poissons sont ce qui se trouvaient sur les dernières photos de Clio et dont il a conservé religieusement la pochette vide dans lesquelles elles se trouvaient après avoir été developpé, donc ça expliquerait pourquoi son obsession porte sur les poissons(après tout un tigre conceptuel, ça aurait pu aussi être sympa). Il y a aussi le fait que Scout soit Clio et les rêves où Clio lui parle.
Le seul hic c'est par rapport à Scout et Fidorous, sont-ils dans ce cas, tous deux des créations de son esprit ou d'autres fous que le premier Sanderson a entraîné dans son délire ?
Pour finir, voici aussi un petit paragraphe qui j'ai bien aimé :
"Au-delà des boutiques, des cafés et des bars du port, le long d'une jetée étroite battue par la mer, on peut voir ce qui reste du temple de Portara ; essentiellement, un immense portique de pierre surplombant la baie. Il est connu sous le nom d'arche d'Ariane, où, selon la légende, la fille du roi Minos de Crète a eu le plaisir de voir ce rat de Thésée, son amoureux héroïque, se tirer pour Athènes sans elle. Ariane, le coeur brisé, a fini par se marier avec Dionysos, dieu du vin et du chant, et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants. Ce qui, estime Clio, est une façon de dire qu'elle est devenue alcoolique et dingue, et qu'elle n'en a plus rien eu à foutre de rien."