Actuellement je suis dans une grande période de découverte/re-découverte de la tragédie grecque, ce qui a commencé avec Antigone, parce que mon tuteur faisait Antigone d'Anouilh et que quelques questions s'étaient posées par rapport au texte de Sophocle. De fil en aiguille, je me suis retrouvée à lire l'essentiel du cycle Thébain, avec en prime quelques réécritures modernes.
Donc aujourd'hui, je vais vous parler de l'Oedipe Roi de Sophocle et ainsi inaugurer une longue série d'article autour du cycle Thébain.
Un terrible fléau a frappé Thèbes, la ville aux sept portes. Les champs, les animaux et les femmes sont devenus infertiles et la Peste décime le peuple. Les habitants n'ont plus qu'une solution : supplier le Roi Oedipe d'intervenir, car il est le déchiffeur d'énigme, le sauveur de Thèbes, puisqu'une fois déjà il l'a délivrée d'un fléau.
Le roi écoute leur supplique et est prêt une nouvelle fois à endosser le rôle du sauveur. Il lui faut alors trouver le meurtrier de Laïos, l'ancien roi de Thèbes, car c'est là l'origine de la souillure qui frappe la ville, mais la vérité va être bien plus terrible qu'Oedipe ne s'y attend...
Oedipe Roi s'inscrit dans le cycle Thèbain, c'est-à-dire dans un ensemble de pièces sur la maison des Labdacides et qui s'appuie sur deux épopées perdues l'Oedipodie et la Thébaïde.
Au niveau du mythe, tout part de Laïos et Jocaste qui veulent avoir un enfant mais n'y arrivent. Laïos va voir l'oracle d'Apollon pour trouver une solution mais celui-ci lui répond qu'il est destiné à mourir par la main de ce fils qu'il a voulu contre la volonté des dieux et que c'est là sa punition pour avoir enlevé le fils de Pélops.
Malgré cet avertissement, Laïos continue de fréquenter la couche de Jocaste qui finit par tomber enceinte mais une fois que l'enfant est né, Laïos prend peur et décide de le faire exposer, sauf que l'enfant ne meurt pas. Il est recueilli par un berger qui l'apporte au roi de Corinthe en mal d'enfant.
Oedipe grandit mais un jour, il entend un homme le traiter d'"enfant supposé". Le doute s'installe. Il décide d'aller consulter l'Oracle pour connaître sa véritable origine. L'Oracle lui annonce qu'il est destiné à tuer son père et épouser sa mère. Oedipe, horrifié, décide de ne plus remettre les pieds à Corinthe et sur la route de Delphes, à un carrefour, il a une altercation avec un voyageur et sa suite arrivant dans le sens opposé, le ton monte et Oedipe les tue sous le coup de la colère.
Oedipe arrive à Thèbes, où sévit un fléau terrible, le Sphinx qui dévore les voyageurs qui n'arrivent à résoudre son énigme. Oedipe trouve la réponse, délivre Thèbes et se voit offrir la reine en mariage, pour ainsi prendre la place du roi de Thèbes sensé avoir été tué par des brigands.
Les années passent, le bonheur semble règner pour Oedipe qui est admiré de tous et a eu quatre enfants de Jocaste. Mais le meurtre de Laïos laissé impuni fini par refaire surface et Oedipe décide de découvrir la vérité.
La pièce de Sophocle commence alors que la peste règne et que le peuple supplie Oedipe d'intervenir. Durant la pièce, on va suivre les efforts d'Oedipe pour trouver la vérité, malgré les avertissements qu'il reçoit, et les différentes fausses pistes qu'il va suivre dans l'espoir de découvrir qu'il n'est pas le meurtrier de Laïos, car rapidement, tout va pointer vers lui. Mais plus la pièce avance, plus l'étau se resserre et moins Oedipe perçoit la vérité, car il va d'abord croire à un complot de Tirésias, puis suspecter Créon d'être de mèche et finalement croire que sa femme veut le détourner de sa quête par vanité pour ne pas apprendre qu'elle est la femme d'un fils d'esclave.
Du point de vue de la légende, il existe plusieurs dénouements possibles. Dans la pièce de Sophocle, Jocaste se suicide quand elle comprend la vérité et Oedipe se crève les yeux. Comme on le verra bientôt, ce n'est pas la seule fin possible, Euripide, par exemple, optera pour une autre solution.
Cette pièce est souvent rapprochée des romans policiers, car le héros se retrouve dans un rôle d'enquêteur et fait défiler devant lui les témoins. Ce qui m'a intéressé dans la pièce, c'est la manière dont Oedipe va sombrer petit à petit dans la paranoïa. Ma scène préférée est certainement la confrontation qui a lieu entre Oedipe et Tirésias, car Tirésias sait la vérité, ne veut pas la dire mais va y être poussé par Oedipe qui sous le coup de la colère se met à l'accuser de comploter contre lui et de détourner la parole divine. J'aime la détresse de Tirésias au début de la scène, car ce qu'il a à dire est trop horrible à supporter.
Après, dans le cycle Thébain, ce qui m'a véritablement passionnée, c'est le personnage de Créon, car il est celui qui varie le plus selon les auteurs et est aussi le plus mystérieux. Dans une pièce grecque, on ne peut avoir de monologue où le personnage s'exprime en toute honnêteté et révèle ses vraies intentions, puisque tout se déroule sous le regard du choeur. Du coup, comme on ne voit Créon que lorsqu'il parle à Oedipe ou au choeur, on ne sait pas quel est son degré de sincérité. Est-il un prince ambitieux qui cherche à s'emparer du pouvoir comme Oedipe le craint ou est-il le prince qui se satisfait du pouvoir et des honneurs qui sont les siens et voit le pouvoir que détient Oedipe comme une source d'ennuis qui ne l'attire pas comme il l'explique lui-même ? Dans la pièce de Sophocle, on ne le saura pas, mais je penche pour le fait qu'il n'est pas maléfique dans cette version, surtout parce que cela renforce le côté pathétique d'Oedipe, si son aveuglement le pousse à voir une conspiration là où il ne peut y en avoir.
Oedipe Roi est une pièce intéressante et l'édition budé de poche est plutôt bien faite, la traduction de Paul Mazon a été conservée et l'introduction est pertinente, mettant la pièce en relation avec les autres oeuvres inspirées de la légende et offrant une interprétation du personnage d'Oedipe.