Après la découverte de Maupassant, me voici lancée dans George Sand, suite à ma lecture de sa correspondance avec Alfred de Musset. Comme première lecture, j'ai jeté mon dévolu sur Lélia, les oeuvres champêtres n'ayant pas un grand attrait pour moi(ce qui explique pourquoi j'ai évité George Sand jusqu'ici. Ce livre comporte deux versions, car George Sand l'a remanié pour lui donner une fin plus positive. Je vous parlerai principalement de la première version, car c'est celle que j'ai aimé.
Le jeune poète Sténio est tombé sous le charme de la belle et froide Lélia. Il l'entoure de sa vénération et se consume d'un amour sublime pour cette femme plus âgée qui se dit incapable d'aimer.
Ce livre raconte plus qu'une simple histoire d'amour, il raconte la quête vers l'idéal et le chemin choisi par différents êtres pour l'avoir, c'est le récit de la souffrance de celui qui veut s'élever et se rend compte qu'il n'existe rien dans la réalité qui puisse satisfaire ses attentes. C'est ce qu'on a appelé le mal du siècle et qui fait que j'ai trouvé des ressemblances entre les personnages de Sand et ceux de Sade.
En effet, le libertin chez Sade a épuisé toutes les jouissances. Il n'y a plus que les pires cruautés qui parviennent à éveiller une faible jouissance dans ces corps que les excès ont complètement déréglés, le libertin essaye de tromper son ennui, tout comme les personnages de Sand soit parce qu'ils ont eu accès à toutes les jouissances et les ont épuisés, soit parce qu'ils ont eu à leur disposition de grandes facultés qui les ont détournés des satisfactions du commun et que leur imagination les a entraînés si loin que rien ne peut plus leur plaire, le réel étant inférieur à ce que nous pouvons concevoir. Le malheur des personnages de Sand repose sur le fait que contrairement aux libertins de Sade, ils n'acceptent pas cette quête sans cesse renouvelée d'une jouissance fade, ils attendent quelque chose d'autre mais il n'y a rien et ne le supporte pas.
Lélia a cru que le bonheur était dans l'amour, mais un amour pur, sans concession et s'est rendue compte que derrière l'amour le plus magnifique, il y a toujours le désir, et que l'amant qui d'abord se fait une joie de baiser le pan de sa robe ne s'en satisfera pas et voudra toujours aller plus loin dans la possession physique. Du coup, il ne lui reste plus que sa pureté inaccessible, car elle préfère le malheur plutôt que le compromis.
Tenmor est le libertin, sauvé de l'ennui par un crime qu'il a commis et l'a envoyé au bagne. Par le biais de ses souffrances, il est sorti de lui un homme nouveau, sublime, droit dont la vie n'est plus consacrée qu'à la vertu et à la bienfaisance. Ce thème du forçat qui sort du bagne purifié se retrouvera dans les Misérables de Hugo.
Dans les figures d'exception que compte le livre, on a Magnus, le prêtre tourmenté par la passion que Lélia a éveillée en lui et qui va tenter de trouver la paix en dieu. Sténio, aussi, le poète encore pur qui n'a pas encore été déçu par le réel et qui a de grandes aspirations, mais va comme les autres se brûler les ailes.
Je n'ai pas vraiment aimé la seconde version du roman, car il y a trop d'informations, les choses ne sont plus suggérées ou voilées, les moindres états d'âme sont explicités et du coup on perd cette force qui faisait l'intérêt de la première version. J'ai trouvé que la volonté d'amener une fin au message plus positive rend l'histoire ridicule. et l'intrigue sur Valmarina ne m'a pas plu, je préférais Tenmor quand il était une figure solitaire, plutôt qu'une sorte de super philanthrope oeuvrant pour le progrès de l'homme et poursuivi par les autorités locales. Mais le pire fut Lélia car sa chute n'est plus due à ses aspirations trop sublimes mais à son désir d'être traitée en égal, elle devient réellement le porteur d'un message féministe, ce qui a réduit le sublime de son désespoir, car il porte sur une situation matérielle et non plus sur une limitation propre à tout être humain.
J'ai trouvé ridicule l'intrigue avec le cardinal, car au bout d'un moment, le fait qu'elle fait tomber tous les coeurs sous son charme m'a agacé. En plus, elle se met à oeuvrer pour faire s'accomplir son idéal d'égalité. Le problème n'est plus la misère humaine que rien ne peut alléger mais un problème social... ce n'est plus assez élevé à mon goût, le personnage devient mesquin sans son aspiration au sublime.
La première version de l'histoire m'a énormément plu par le désespoir des personnages, tandis que la seconde est terriblement décevante. C'est cependant une expérience agréable qui m'a amené à m'intéresser à d'autres oeuvres de l'auteur.