Aujourd'hui je vais vous parler d'un essai : Eschyle ou le grand perdant d'Ismail Kadaré.
Présentation de l'éditeur : Écrit et publié en 1985, alors que le pays de l'auteur, l'Albanie, endurait les ultimes années d'un régime de fer, cet essai est d'abord un hymne audacieux à la liberté et à la magnificence de l'art.
Débutant comme une enquête sur la disparition de quelque trois cents tragédies grecques de l'Antiquité, dont la majorité de celles d'Eschyle, ce livre ne se fait pas seulement l'écho de l'angoisse ou de la terreur des écrivains de tous les temps face au rapt et à l'assassinat de leurs oeuvres, mais ouvre sur une réflexion consacrée aux rapports du créateur avec les pouvoirs, avec son époque, avec son peuple et, finalement, avec l'humanité entière.
A cette occasion, il propose une lecture neuve des tragiques grecs et une approche très originale de leurs principaux personnages, comme Prométhée, à la création et au façonnage desquels contribuent, après le dramaturge, les publics successifs que le cours des siècles leur fait rencontrer.
Au terme de cet essai, le lecteur se voit suggérer une théorie nouvelle de la naissance du théâtre tragique, théorie qui vient contredire ou corriger toutes les analyses et interprétations en vigueur depuis quelque deux millénaires.
J'ai trouvé ce texte très intéressant, même si j'aurais préféré qu'il y ait une bibliographie avec car certaines références ont suscité ma curiosité. L'auteur se penche sur le cas d'Eschyle, père de la tragédie, et sur le hasard qui a conduit à la conservation de seulement sept de ses tragédies. Ses réflexions sont assez diverses, certaines portent sur ce qu'a pu éprouver Eschyle lors de la création de ses oeuvres, d'autres sur la disparition de ses pièces et du contenu possible de certaines. Il propose aussi une autre explication des tragédies par la comparaison avec les rites albanais et surtout avec le contenu du Coutumier qui est un ensemble de règles orales qui a servi de bases à la justice albanaise pendant des siècles et qui réglait par exemple toutes les questions de réparation en cas de meurtre.
Les rapprochements avec les coutumes albanaises apportent un éclairage vraiment intéressant sur le contenu des tragédies, en particulier au niveau des réparations pour un crime mais aussi sur le sujet de l'angoisse de l'inceste et du parricide.
Dans les réflexions qui m'ont véritablement frappées, il y a celle sur l'absence de falsification des pièces antiques, qui est un fait que je n'avais pas remarqué jusque-là et qui est véritablement notable si on compare avec ce qui s'est produit au niveau de l'oeuvre de Platon.
Il y a seulement un point de détail qui m'a laissée perplexe, c'est au sujet des Sept contre Thèbes qui est présenté comme la seconde pièce de la trilogie des Labdacides, alors que c'est sensé être la troisième selon mon édition, car elle fait suite à un Laïos et à un Oedipe. C'est un cas où l'absence de références critiques à fait défaut, car j'aurais aimé savoir s'il se fondait sur l'état des recherches dans les années 80 ou s'il s'appuyait sur d'autres interprétations critiques.
C'est toutefois un ouvrage très intéressant et qui par l'origine de son auteur offre une vision enrichissante de la tragédie grecque.